Des réalisateurs qui se racontent tout en évoquant un fameux chanteur, telle se présente cette production, laquelle a, au bout d’une semaine, attiré plus de 600’000 spectateurs.
Sorti cet automne, le film intitulé « Monsieur Aznavour » retrace le parcours du chanteur franco-arménien, en mettant l’accent sur les débuts difficiles de sa carrière. Dans le rôle-titre, Tahar Rahim, à la performance stupéfiante, incarne la détermination et la persévérance manifestées par son personnage dans la vie réelle.
La critique a souvent dénoncé un aspect « aseptisé », « superficiel», « trop officiel », voire « catalogue » de cette production, dont elle souligne la dimension biographique. Si c’est là le but privilégié par les cinéastes, Mehdi Idir et Fabien Marceau – alias Grand Corps Malade (GCM) – l’on est plutôt en droit de partager ce jugement.
Mais ce serait sans doute se méprendre : En réalité, ce film témoigne autant de l’esthétique des réalisateurs que de la vie d’Aznavour. En racontant le chanteur, ils expriment simultanément leur credo artistique : Il ne s’agit pas vraiment pour eux de reconstituer l’existence d’une personne en convoquant des épisodes. Il veulent surtout se servir du vocabulaire, des chansons, pour relater, recréer des moments forts.
Un premier indice est fourni par la construction en cinq chapitres du film; tous portant le titre d’un tube d’Aznavour. Chaque chanson, ainsi mise en valeur, devient un « pré-texte », un point de départ pour représenter ce chemin de vie. Les mots priment. Mais des éléments supplémentaires, allant dans ce sens, doivent être pris en considération.
Des destinées constituées de termes
Slameur, cinéaste et compositeur de textes, Fabien Marceau, voulait devenir maître de sport. Devenu partiellement tétraplégique à la suite d’un accident, il a retrouvé la quasi-totalité de ses capacités physiques, à force de travail et de persévérance, qualités également mises en avant dans « M. Aznavour ». De cette épreuve personnelle en est ressorti, bien plus tard, un récit et un film, « Patients », écrit avec Mehdi Idir.
Obligé de se réorienter professionnellement, Fabien s’est alors tourné vers son autre passion, la poésie. En 2003, il est devenu « Grand Corps Malade » (GCM), en référence à l’accident et à cause de sa haute taille, 1 m 94 ! En 2006, l’album « Midi 20 » s’est vendu à 600’000 exemplaires. GCM anime désormais des ateliers d’écriture/slam, tout en poursuivant une brillante carrière.
Comme lui, Mehdi Idir est réalisateur, slameur, mais en plus danseur de hip hop. Depuis 2006, une solide amitié lie les deux hommes qui partagent leurs passions et leurs approches, y compris dans le domaine du septième art. Pour eux, relater une vie, c’est choisir et travailler sur une suite de mots.
Un texte pour comprendre la réalisation d’un film
Un « slam », reproduit en annexe, illustre particulièrement bien la démarche des deux hommes : « Chercheur de phases », signé par GCM, a paru dans « Midi 20 ». Ces vers peuvent paraître emblématiques de sa plume, mais aussi de sa façon de mettre en scène et de tenir une caméra. Ici, le vocabulaire génère une odyssée. L’écrivain n’est-il pas à la fois l’aventurier et le rédacteur évoqués dans ce titre ? Jouant et s’appuyant sur le lexique, il conçoit des néologismes (« J’osculpte »). « Phases » n’est-il pas à comprendre comme étant « Phrases » amputé du « r » ou plutôt de l’« air » ? Certes un accompagnement musical est offert dans la version vidéo, mais un lecteur privé de support électronique n’est-il pas poussé à créer une partition dans sa tête… comme le ferait un chanteur ?
Ce texte évoque aussi la difficulté du processus de la création, de l’incertitude liée à la combinaison des vocables, de la peine à obtenir la compréhension du public. L’auteur s’est certainement heurté à ces obstacles :
Je me prends pour un poète, p’t’être un vrai, p’t’être un naze
Je suis parmi tant d’autres un simple chercheur de phases.
Charles Aznavour, pour sa part, insistait plus fortement encore, en 1961, sur la difficulté à affronter cette aventure :
Je m’voyais déjà en haut de l’affiche […]
Moi j’étais trop pur ou trop en avance
Mais un jour viendra je leur montrerai que j’ai du talent.
En ANNEXE, le SLAM « Chercheur de phases » de GCM
Quelques liens :
La bande annonce du film :
Grand Corps Malade évoque à sa façon le film :
Chercheur de phases :
Ces vidéos et le texte de GCM sont sur internet, et libres de droits.
L’auteur de cet article est l’invité du BLOG du mois de novembre.
Pierre Jaquet a enseigné la littérature française et l’histoire dans les Gymnases de Burier (La Tour-de-Peilz) et Nyon. Il donne actuellement des cours d’histoire à l’Université Populaire de Lausanne. En parallèle, il exerce une activité régulière de journaliste culturel, essentiellement dans le domaine de la musique classique. Attachant une grande importance aux contacts humains, il est toujours heureux de pouvoir partager ses passions avec autrui. Lorsqu’il s’adresse à son public il vise la réflexion et l’échange.