Comment occuper un enfant pendant un long trajet en voiture, ou quand la pluie bloque toute sortie ? Et si, pour une fois, vous parveniez à leur faire délaisser leurs écrans au profit… de la littérature ? Jules Verne, ça leur dit peut-être vaguement quelque chose… ou pas du tout. Que diriez-vous de transformer ce classique en défi ludique, capable d’éveiller leur curiosité et de les embarquer dans une véritable aventure ?
Un mystère au coeur du roman
Voyage au centre de la Terre, publié en 1864, démarre par un mystère captivant : un cryptogramme étrange.
Tout commence en effet quand le professeur Lidenbrock, géologue réputé et légèrement… excentrique, met la main sur un vieux manuscrit d’un auteur islandais du XIIe siècle. En le feuilletant avec son neveu Axel, il découvre un parchemin couvert de signes énigmatiques : des runes, anciennes et indéchiffrables. Intrigués, les deux hommes se lancent dans une véritable chasse au secret… Saurez-vous percer ce mystère avec eux ?
Un premier défi, déchiffrer l’alphabet

Avant de plonger dans le message lui-même, il faut d’abord identifier ou percer le code de l’alphabet utilisé. Voici ce que cela donne… mais cela ne nous mène pas bien loin !
m.rnlls esreuel seecJede
sgtssmf unteief niedrke
kt,samn atrateS Saodrrn
emtnael nuaect rrilSa
Atvaar .nscrc ieaabs
ccdrmi eeutul frantu
dt,iac oseibo KediiY
Allons-nous en rester là ? Bien sûr que non ! Jules Verne a bien l’intention de faire avancer son roman.
Quand le neveu fait progresser l’histoire
Laissons la parole à l’auteur en nous plongeant dans les chapitres IV et V. Et là, surprise : c’est le neveu – on ne l’attendait pas forcément à ce niveau – qui entre en scène de manière décisive. Contre toute attente, c’est lui qui va faire avancer l’intrigue et contribuer à trouver la solution.
« Mon oncle ! » dis-je.
Il ne parut pas m’entendre.
« Mon oncle Lidenbrock ? répétai–je en élevant la voix.
– Hein ? fit-il comme un homme subitement réveillé.
– Eh bien! cette clef ?
– Quelle clef ? La clef de la porte ?
– Mais non, m’écriai-je, la clef du document ! »
Le professeur regarda par–dessus ses lunettes; il remarqua sans doute quelque chose d’insolite dans ma physionomie, car il me saisit vivement le bras, et, sans pouvoir parler, il m’interrogea du regard. Cependant, jamais demande ne fut formulée d’une façon plus nette. Je remuai la tête de haut en bas.
Il secoua la sienne, avec une sorte de pitié, comme s’il avait affaire à un fou.
Je fis un geste plus affirmatif.
Ses yeux brillèrent d’un vif éclat; sa main devint menaçante.
Cette conversation muette dans ces circonstances eût intéressé le spectateur le plus indifférent. Et vraiment, j’en arrivais à ne plus oser parler, tant je craignais que mon oncle ne m’étouffât dans les premiers embrassements de sa joie. Mais il devint si pressant qu’il fallut répondre.
« Oui, cette clef !… le hasard !…
– Que dis-tu ? s’écria-t-il avec une indescriptible émotion.
– Tenez, dis-je en lui présentant la feuille de papier sur laquelle j’avais écrit, lisez.
– Mais cela ne signifie rien! répondit-il en froissant la feuille.
– Rien, en commençant à lire par le commencement, mais par la fin… »
Je n’avais pas achevé ma phrase que le professeur poussait un cri, mieux qu’un cri, un véritable rugissement ! Une révélation venait de se faire dans son esprit. Il était transfiguré.
« Ah! ingénieux Saknussemm! s’écria-t-il, tu avais donc d’abord écrit ta phrase à l’envers ? »
En se précipitant sur la feuille de papier, l’oeil trouble, la voix émue, il lut le document tout entier, en remontant de la dernière lettre à la première.
Il était conçu en ces termes :
In Sneffels Yoculi craterem kem delibat
umbra Scartaris Julii intra calendas descende,
audas viator, et terrestre centrum attinges.
Kod feci. Arne Saknussemm.
Ce qui, de mauvais latin, peut être traduit ainsi :
Descends dans le cratère du Yocul de
Sneffels que l’ombre du Scartaris vient
caresser avant les calendes de Juillet,
voyageur audacieux, et tu parviendras
au centre de la terre. Ce que j’ai fait.
Arne Saknussemm.
Mon oncle, à cette lecture, bondit comme s’il eût inopinément touché une bouteille de Leyde. Il était magnifique d’audace, de joie et de conviction. Il allait et venait; il prenait sa tête à deux mains; il déplaçait les sièges; il empilait les livres; il jonglait, c’est à ne pas le croire, avec ses précieuses géodes; il lançait un coup de poing par-ci, une tape par-là. Enfin, ses nerfs se calmèrent et, comme un homme épuisé par une trop grande dépense de fluide, il retomba dans son fauteuil.
« Quelle heure est-il donc? demanda-t-il après quelques instants de silence.
– Trois heures, répondis–je.
– Tiens! mon dîner a passé vite. Je meurs de faim. A table. Puis ensuite…
– Ensuite?
– Tu feras ma malle!
– Hein! m’écriai-je.
– Et la tienne ! » répondit l’impitoyable professeur en entrant dans la salle à manger.
Cap sur l’Islande et le coeur de la Terre
Et voilà nos héros embarqués pour l’Islande, prêts à plonger dans les entrailles de la Terre… en passant par la cheminée d’un volcan ! Le « voyage au centre de la Terre » peut commencer.
Dans ce roman foisonnant d’imagination, Jules Verne mêle découvertes scientifiques, tension dramatique et émerveillement devant les forces de la nature. Entre aventure, exploration et visions du passé, Voyage au centre de la Terre invite à repousser les limites du réel… et à plonger dans l’inconnu.
Mais ce n’est pas tout : pour découvrir un autre aspect fascinant de l’écriture de Jules Verne, prêtez attention à ses descriptions du monde souterrain. Peu de couleurs, presque uniquement du noir et blanc… Pourquoi ? Parce qu’il écrivait avec des gravures en noir et blanc sous les yeux ! Ces images influencent directement son style visuel, presque cinématographique.
Alors, qu’attendez-vous ? Foncez lire ce roman ! Et pourquoi pas à voix haute, avec les plus jeunes ? L’histoire est passionnante, mais ce qui la rend encore plus fascinante, ce sont les indices que l’auteur sème sur sa manière d’écrire. Ici, il ne s’agit pas seulement de suivre une aventure, mais de percer les secrets de sa création… d’aller non pas au centre de la Terre, mais au coeur même du récit !
Le grand défi : déchiffrer le cryptogramme
Pour commencer, basez-vous sur la transcription des runes que figure plus haut : écrivez les premières lettres de chaque mot sur une ligne, puis les secondes, les troisièmes, et ainsi de suite.
• Vous obtenez tout d’abord cela :
messunkaSenrA.icefdoK.segnittamurtn
ecertserrette,rotaivsadua,ednecsedadne
lacartniiiluJsiratracSarbmutabiledmek
meretarcsilucoYsleffenSnl
• Ça paraît décevant, mais patience ! Ecrivez maintenant le texte à l’envers :
In Sneffels Yoculi craterem kem delibat
umbra Scartaris Julii intra calendas descende,
audas viator, et terrestre centrum attinges.
Kod feci. Arne Saknussem.
• Vous avez maintenant un texte en latin. Il ne reste qu’à le traduire, et voici le résultat :
Descends dans le cratère du Yocul de
Sneffels que l’ombre du Scartaris vient
caresser avant les calendes de Juillet,
voyageur audacieux, et tu parviendras
au centre de la terre. Ce que j’ai fait.
Arne Saknussemm.
A vous de jouer maintenant : lancez-vous dans la lecture et le décryptage des exemples qui vous sont proposés ici ! Rassurez-vous les messages codés sont en français.
Exemple 1
eeuq– idqss ?tnlue taueot np’uvE
slvsi esaea rexls tluzu tceeo ?eejmV
uusjr ooeeo ,vpudl srtesa
.bdae gesti ociem lemsA
Exemple 2
lrenue aunaet tenbli aloa-a nrdrsF
dgpss nsoni roeraa erltsm
sleue esmet reili vla-a irrsf
.eldme eVusol nsJnrt reease
Exemple 3
léerri ag’uél itctta nseatL
,ensl ertee gtiuu âooqq
spret t-grn ns,aa edspf rnt,n ,aansE
seeea idmct !asozr rltmea ipnsgP
A vos stylos, vos idées farfelues, vos théories improbables !
Et surtout… que la lecture soit avec vous !
Pierre Jaquet, l’auteur de cet article, a enseigné la littérature française et l’histoire dans les Gymnases de Burier (La Tour-de-Peilz) et Nyon. Il donne actuellement des cours d’histoire à l’Université Populaire de Lausanne. En parallèle, il exerce une activité régulière de journaliste culturel, essentiellement dans le domaine de la musique classique. Attachant une grande importance aux contacts humains, il est toujours heureux de pouvoir partager ses passions avec autrui. Lorsqu’il s’adresse à son public il vise la réflexion et l’échange.