Un enfant reçoit du vivant de ses parents la maison familiale. Si ceux-ci entrent en EMS et n’ont pas les moyens de payer la totalité des frais, il devra en rembourser une partie, même longtemps après la donation. Explications.
Les parents croient souvent qu’en faisant une avance sur héritage, «c’est tout ça qui n’ira pas à l’Etat». C’est faux, dans le canton de Vaud en tous cas: au-delà d’une certaine somme, les donations à une descendance directe sont taxées au même titre que les successions. Et en plus, dans le cas où l’un parents doit entrer dans un EMS sans avoir les moyens d’assumer la totalité de la pension, il faudra en restituer une partie.
Prenons l’exemple fictif d’un couple vaudois, qui a fait don de la maison familiale à son fils unique en 2014. Valeur du bien: 700’000 fr. (voir point A dans le tableau ci-dessous), moins une hypothèque de 200’000 fr. (B), soit un cadeau de 500’000 fr. (C).
Le mari est décédé l’an dernier et la femme est entrée, à la mi-janvier 2023, dans un EMS. Elle bénéficie d’une rente AVS pleine de 29’400 fr./an (D) et d’un 2e pilier de 15’000 fr. (E), soit un revenu annuel de 44’400 fr. (F).
Le prix de la pension de l’EMS revient à 6’000 fr./mois une fois que l’Etat et la caisse maladie ont payé leur part (G), auquel s’ajoutent les frais personnels fixés par le canton (H), soit un total de 75’300 fr. par an (I). Il manque donc 30’900 fr. (J) pour couvrir les frais.
La Caisse de compensation dit non
Normalement, comme pour 80% des résidants en EMS, c’est la caisse de compensation qui va combler ce déficit. Mais, dans le cas précis, elle va refuser de le faire, car elle considère la donation faite au fiston 10 ans plus tôt comme un désistement de fortune. Or, si la maman avait toujours cette fortune, elle serait en mesure de payer l’entier de la facture, un certain temps du moins.
Dès lors, il ne reste qu’une solution: demander l’aide sociale à la commune. Celle-ci va y répondre, car elle en a l’obligation, le Tribunal fédéral l’a rappelé dans une jurisprudence. Cependant, elle va ensuite se retourner contre le bénéficiaire de la donation et exiger la restitution d’une partie de ce qu’il a reçu à l’époque.
Pour les fans de maths
Combien? Faisons le calcul en complétant l’exemple ci-dessus, mais je vous préviens, il faut aimer les maths! Si tel n’est pas votre cas, filez directement à la conclusion en fin de texte.
> La donation représentait donc, à l’époque, 500’000 fr. (C). Attention, il faut utiliser la valeur vénale de la maison, c’est-à-dire celle du marché au moment de la donation et non la valeur fiscale, généralement inférieure de 25 à 30%.
> Seules petites concessions de l’État: elle est diminuée de 10’000 fr./an dès la 2e année pleine après la donation (dès 2016 dans notre exemple), ici de 80’000 fr. (K) et une déduction forfaitaire de 30’000 fr. (L) est accordée, ce qui ramène la somme retenue pour le calcul à 390’000 fr. (M)
> 20% de cette somme, soit 78’000 fr. (N), est ajoutée au revenu de la résidente (44’000 fr.). Donc, aux yeux de l’État, elle devrait avoir des ressources de 122’400 fr. (O), largement de quoi payer la pension de l’EMS (75’300 fr.).
> Or, on l’a vu, tel n’est pas le cas, puisqu’elle a donné la maison familiale. En 2023 (P), il lui manque bel et bien 30’900 fr., que le fiston va donc devoir rembourser, comme il devra le faire en 2024.
> Mais dès 2025 (Q), sa participation va diminuer, car la somme sur laquelle sont calculées les ressources fictives diminue chaque année de la participation versée l’an précédent et de la déduction de 10’000 fr./an. Arrive donc le moment où une PC partielle lui est accordée, laquelle ne va cesser d’augmenter jusqu’à complètement absorber le déficit.
Conclusion
Dans notre exemple, l’enfant cessera d’être sollicité en 2032 (R) et aura ristourné 152’781 fr. (S) jusque là. Une partie de «tout ça« est donc bel et bien allé à l’Etat, auquel il convient d’ajouter l’impôt sur la donation payé en 2014. Or, il n’existe qu’une solution pour diminuer la note: anticiper au maximum la donation. Dans notre exemple, il aurait fallu la faire il y en 1990 pour totalement y échapper.
Attention toutefois: le calcul varie (parfois beaucoup) en fonction de nombreux autres critères: rente AI au lieu d’AVS, conjoint survivant, canton de résidence, fortune mobilière, etc.
Si vous m’avez suivi jusqu’au bout sans rien lâcher, bravo, vous avez droit à une aspirine!