Quelques contresens, barbarismes et autres erreurs de la langue française.
A chacun son truc! Dans la publication qui précède, Eric Oulevay partage sa passion des chiffres à l’occasion de la dernière «année carrée» que la plupart d’entre nous pourront vivre sur cette basse terre. Grâce au Petit lexique des belles erreurs de la langue française*, trouvé et acheté récemment dans une brocante, je voudrais faire de même avec mon amour des mots.
Les dictionnaires les plus complets de langue française comptent 100’000 mots (contre, soit dit au passage, 200’000 pour la langue anglaise), mais le français usuel se limite à 30’000. Et l’adulte moyen en connaît entre 3’000 et 5’000, mais n’en utilise qu’entre 300 et 600 dans la vie courante. Autrement dit, nous nous comprenons (ou pas, c’est selon…) qu’avec 0,3 à 0,6% des mots usuels de notre belle langue.
Et en plus, nous ne les utilisons pas toujours correctement! Jeune stagiaire déjà, je recevais les petites fiches beiges de «Défense du français», le bulletin de l’association suisse des journalistes de langue française, toujours active. Le Petit lexique*, qui en reprend 300, illustrées par Plonk et Replonk, confirme que l’on ne retient pas nécessairement ce qu’on lit!
Huit exemples très courants:
> Mitigé – Vous venez d’entendre à la radio que le temps de ces prochains jours sera mitigé. Autrement dit: difficile de prévoir la météo. Eh bien pas du tout! Si l’on se réfère à l’exacte définition du mot, elle sera adoucie, tempérée, donc plus clémente. La confusion vient vraisemblablement du mitigeur, qui, lui, est bel et bien un appareil permettant de mélanger eau chaude et eau froide. Et elle est devenue tellement courante (la confusion, pas l’eau…) que le Petit Robert la consacre en troisième position, en mentionnant toutefois «emploi critiqué».
> Prévoir d’avance – Joli pléonasme, puisque avec le préfixe pré–, le verbe contient d’ores et déjà une marque d’antériorité. La locution d’avance est donc parfaitement inutile. Dans le même ordre, mais en sens inverse: «il y a des années en arrière»…
> Rendre attentif – Surtout utilisé en Suisse, car malencontreusement issu d’une traduction littérale de l’allemand aufmerksam machen. En français, on dit: attirer (ou appeler) l’attention de quelqu’un sur quelque chose.
> Impacter – Longtemps inconnu des dictionnaires, le verbe est en train de s’imposer, puisque Le Petit Robert l’a finalement intégré en précisant qu’il s’agit d’un anglicisme. Et effectivement, le mot vient du verbe anglais to impact, qui signifie «enfoncer, presser dans quelque chose». Il est désormais abusivement utilisé pour tout ce qui a un impact. Les possibilités françaises sont pourtant nombreuses et bien plus précises: frapper, atteindre, choquer, secouer, toucher, heurter, influer sur, influencer, forcer, pénétrer, percuter, ébranler, imprégner…
> Alternative – Là encore, l’usage incorrect est en train de s’imposer. Car si, en français, une alternative est un choix obligé entre deux possibilités, et rien d’autre, Le Petit Robert (encore lui…) admet qu’on puisse aussi l’employer comme «solution de remplacement», en précisant toutefois «emploi critiqué».
> Sensé, censé – Une chausse-trappe dans laquelle nous sommes nombreux à tomber: censé vient de l’ancien verbe censer, juger, et signifie supposé. Son homonyme sensé dérive de sens et désigne celui qui a du bon sens ou ce qui est conforme au bon sens. On écrira donc: «Nul n’est censé ignorer la loi», mais: «Cette remarque est sensée».
> Repaire, repère – Encore une erreur classique: le repère est une marque servant à désigner un point, un emplacement à des fins précises. On ne parlera donc pas d’un repère de brigands, mais d’un repaire, soit un lieu où se réunissent les malfaiteurs (autre sens: lieu de refuge des bêtes sauvages).
> Votation – Petite déformation typiquement helvétique (et signalée comme telle par l’incontournable Petit Robert), la votation remplace abusivement en Suisse romande le vote ou le scrutin. Car une votation, c’est l’action de voter. Exemple: un mode de votation.
* Éditions Loisirs et pédagogie, collection Découvrir, Le Mont-sur-Lausanne, 2015. Toujours disponible ici.