Quel est le prix de la culture ?

En période de restrictions budgétaires, la culture fait souvent figure de variable d’ajustement. Trop chère, trop élitiste, trop accessoire : les critiques fusent. Il faut payer les artistes, entretenir les musées, financer les festivals… Et même subventionnés, les billets de théâtre ou de concert restent hors de portée pour beaucoup.

Mais quel est réellement son rôle ? La question revient comme un refrain à chaque période de crise. « A quoi la culture contribue-t-elle concrètement ? » Le doute s’installe, devenu désespérément familier. Et pourtant, derrière les chiffres, se cache une réalité bien plus complexe.

Une ressource sous-estimée

Contrairement à l’idée selon laquelle la culture serait un passe-temps secondaire, elle joue un rôle fondamental dans la résilience et le développement des sociétés. L’exemple des pays baltes — Estonie, Lettonie et Lituanie — illustre cette dynamique.

Lorsque ces pays recouvrent leur indépendance, en 1990-1991, le contexte est austère : niveau de vie très bas, transition économique périlleuse et cicatrices encore vives des occupations successives. Pourtant, dans ce contexte difficile, la préservation du patrimoine culturel apparaît comme une priorité, autant pour les gouvernants que pour les populations.

Dans les grandes villes, les bâtiments historiques sont restaurés ; à la campagne, des châteaux médiévaux sont reconstruits, parfois dans la précipitation et avec une ferveur qui l’emporte parfois sur la rigueur archéologique. Il s’agit de retrouver une identité sans tarder, de renouer avec un héritage longtemps occulté.

Certes, on peut déceler derrière cet élan une forme de nationalisme, voire de chauvinisme, longtemps réprimé. Mais en réhabilitant les traces de leur passé, ces peuples ont cherché à renouer avec leur histoire, à reconstruire un socle commun capable de les rassembler et de les aider à surmonter les épreuves. Ce processus a contribué à améliorer leur qualité de vie. Sous cet angle, l’innovation et la créativité apparaissent comme les fruits naturels de cette quête de cohésion et de sens.

L’impact économique du tourisme culturel est tout aussi remarquable. Pour les esprits pragmatiques, l’attractivité retrouvée de ces régions a stimulé l’activité économique locale, favorisé l’apprentissage des langues et ouvert ces pays sur le monde. Un tourisme culturel, authentique et préservé des artifices, s’avère être l’une des principales sources de revenus du XXIe siècle. Une perspective que les décideurs ne peuvent plus ignorer.

Rundale

En Lettonie, la restauration du Palais de Rundale – que j’ai visité avec des membres de l’UREV –  fait figure de symbole de cette renaissance. Ce palais, siège des Ducs de Courlande, a été édifié entre 1736 et 1768. Son commanditaire, Ernst Johann von Biron (1690–1772), le favori — et selon beaucoup d’historiens l’amant — de l’impératrice Anne de Russie, grâce à cette protection est devenu duc de Courlande et a pu se doter d’une somptueuse résidence d’été. Chef-d’œuvre de l’art baroque et rococo letton, le palais doit ses plans à l’architecte italo-russe Francesco Bartolomeo Rastrelli (le même qui a travaillé sur le palais d’Hiver à Saint Pétersbourg).

Au tournant du millénaire, après des décennies de déclin, le palais était pratiquement à l’abandon. Sa restauration, menée avec une rigueur exemplaire, a été perçue comme une opportunité de réaffirmer une identité en renouant avec un passé méprisé sous le régime soviétique. Ce contexte historique et identitaire particulier – bien que pas toujours exempt de critiques – a renforcé la détermination des Lettons à mener à bien le projet.

Le projet a pu voir le jour grâce à un financement mêlant subventions publiques, mécénat privé, soutien international (UNESCO, fonds européens) et les revenus anticipés puis générés par le tourisme. La collaboration entre gouvernement, entreprises, organisations internationales et citoyens a été essentielle.

Les compétences mobilisées ont couvert tous les domaines : études historiques, artistiques et architecturales, valorisation des savoirs anciens, taille de la pierre, ferronnerie, marqueterie, peinture, travail sur les tissus, restauration de tapisseries, et même la remise en valeur du jardin à la française. Aujourd’hui, c’est une vitrine nationale. Le résultat est spectaculaire. Cette résidence princière n’a rien à envier aux Versailles, Sans‑Souci ou Schönbrunn. Une visite s’impose de toute urgence !

Le fait qu’un tel projet ait été mené à bien dans un pays de taille modeste a créé un sentiment de solidarité et de fierté nationale qui a encouragé les contributions.

Quant aux retombées économiques, elles sont évidentes : ce joyau architectural attire des visiteurs du monde entier, dynamisant toute l’économie locale.

En conclusion

En forgeant une fierté collective, en valorisant l’intelligence, en stimulant la créativité et en mobilisant les talents, la culture ne rend-elle pas à un pays le plus précieux des services ?

Pourquoi la Suisse, comparable par sa taille à la Lettonie, ne s’inspirerait‑-elle pas de cet exemple ? Plutôt que de réduire les budgets culturels, il conviendrait d’adopter une approche ambitieuse, tournée vers l’avenir.

Réfléchissons ensemble : investir dans la culture, ce n’est pas dépenser, c’est investir dans le développement durable d’une société.

Sur le WEB


Pierre Jaquet, l’auteur de cet article, a enseigné la littérature française et l’histoire dans les Gymnases de Burier (La Tour-de-Peilz) et Nyon. Il donne actuellement des cours d’histoire à l’Université Populaire de Lausanne. En parallèle, il exerce une activité régulière de journaliste culturel, essentiellement dans le domaine de la musique classique. Attachant une grande importance aux contacts humains, il est toujours heureux de pouvoir partager ses passions avec autrui. Lorsqu’il s’adresse à son public il vise la réflexion et l’échange.


Rédigé par INVITE du BLOG

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