Très différentes et pas nécessairement récentes, trois lectures qui ont quand même un point commun: une écriture sobre et éblouissante.
Les jeux olympique ne me passionnant guère, voici le podium de mes lectures estivales, à raison d’un roman par semaine environ. Trois ouvrages très différents, pas nécessairement récents, qui ont cependant comme point commun une écriture éblouissante, tant par sa simplicité que le choix et l’association des mots. De longues descriptions qui deviendraient ailleurs rapidement ennuyeuses soulignent au contraire l’action et l’émotion qu’elle engendre, intégrant le lecteur dans l’histoire, comme s’il y était lui-même.
> La leçon d’allemand, publié en 1968 déjà, a propulsé Siegfried Lenz parmi les plus grands auteurs allemands contemporains, aux côtés de Heinrich Böll ou Günther Grass. «Eduqué» dans une prison pour jeunes délinquants située sur l’île de Sylt (tout au nord de l’Allemagne), Siggi Jepsen est isolé dans une cellule pour avoir refusé d’écrire une rédaction avec pour thème «Les joies du devoir». Et il va profiter de cette punition pour coucher sur le papier l’histoire de son père, simple policier de village, pourtant contraint en 1943 de faire appliquer la loi du Reich, notamment d’interdire à son ami Max Nansen, artiste reconnu, de peindre des toiles qualifiées d’art dégénéré.
Il va ainsi essayer de comprendre pourquoi son père a mis autant de zèle à appliquer ces mesures antisémites, tant durant qu’après le régime nazi, perdant du coup l’amitié du peintre qui entend, lui, résister jusqu’au bout. Après avoir longtemps hésité, Siggy choisit de braver la voie paternelle et d’aider l’artiste. Un magnifique examen de conscience, où les thèmes du devoir, de l’obéissance et de la remise en question de l’autorité sont si bien décrits qu’on pourrait en faire… une toile!
La leçon d’allemand, Siegfried Lenz, Robert Laffont, Pavillon Poche, 570 pages
> Total Khéops est le premier tome de la trilogie marseillaise de Fabio Montale. Ecrit en 1995 par Jean-Claude Izzo, c’est un roman policier sans vraiment en être un. Petit malfrat devenu flic par la force des choses, Montale a perdu ses deux amis d’enfance, assassinés dans les rues de Marseille lors de règlements de comptes entre gangs. En cherchant à retrouver les tueurs, il réveille tous les fantômes du passé et ne sait plus où naviguer. Tout lui échappe, lui file entre les doigts: les affres du métier, les jalons de sa jeunesse, les amours impossibles…
En fait, l’intrigue n’est pas l’atout du livre. C’est Montale qui nous passionne. Pourtant, les flics déprimés, alcooliques ou nostalgiques, ont tendance à m’irriter, tant ils sont devenus monnaie courante dans le monde des polars. Mais, ici aussi, les mots qu’Izzo a trouvé pour peindre Marseille, la vie et la mort de tous ces paumés sont aussi noirs que beaux. Tellement que le roman finit par en devenir lumineux.
Total Kheops, Jean-Claude Izzo, Folio Policier, 348 pages
Une longue dérive
Beaucoup plus récent (mais déjà en poche), L’apiculteur d’Alep m’a vraiment remué. Son auteure, Christy Lefteri, sait de quoi elle parle, puisqu’elle a travaillé pour l’Unicef dans un camp de migrants à Athènes. Avec, une fois encore, des mots simples mais superbes, elle raconte le voyage d’un couple syrien. Lui était apiculteur, elle artiste peintre, devenue aveugle après la mort sous les bombes de leur jeune fils. On suit donc leur vie parmi la gouache et les abeilles, puis le départ des terres ravagées par la guerre, les passeurs, le long séjour intermédiaire dans un camp en Grèce, et enfin la pénible intégration en Angleterre.
L’histoire, d’une poésie saisissante, ne se confond jamais avec un documentaire (même si, fictive, elle ressemble forcément à celles de beaucoup de migrants), échappe au pathos mais vous prend à la gorge et ne vous lâche plus jusqu’à la fin du livre. Une lecture indispensable pour arrêter de prétendre que la barque est pleine!
L’apiculteur d’Alep, Christy Lefteri, Points Poche, 336 pages