Un loyer qui n’existe pas

Le peuple se prononcera le 28 septembre sur l’abolition de la valeur locative, laquelle engendre une augmentation du revenu imposable en fonction d’un loyer qui n’existe pas. Survol de la question.

«Bis repetita placent» (les choses répétées plaisent) déclarait Horace dans son Art poétique bien avant JC. En 2025, pour ce qui suit, il faudrait plutôt écrire, «tres», voire «quattuor» ou «quinque repetita», parce que ce n’est pas la deuxième fois seulement que l’idée ressurgit. Et on pourrait ajouter «ne placent», parce que je ne suis pas sûr que se coltiner quelques réflexions sur la révision de l’imposition immobilière plaise tant que cela… Et pourtant, il va bien falloir se prononcer le 28 septembre prochain à ce sujet!

En fait, l’enjeu principal tourne autour de l’abolition de la valeur locative d’un bien immobilier mais – quiproquo administratif typiquement suisse – il faut, pour dire oui ou non, accepter ou refuser l’introduction d’un impôt sur les résidences secondaires, dont on a un peu de mal à comprendre ce qu’il vient faire ici! C’est simple: comme le projet enveloppe tous les logements occupés par un propriétaire, y compris les résidences secondaires, les cantons touristiques – craignant des pertes sèches – sont montés aux barricades et ont obtenu de la Confédération qu’ils puissent introduire un impôt sur les résidences secondaires. Et pour être sûr de ne pas se retrouver dans l’impasse, le Parlement a lié les deux objets. Ce sera donc tout ou rien.

Exemple concret

Dès lors, petit rappel: la taxe sur la valeur locative existe en Suisse à titre d’exception depuis les années trente et est inscrit depuis 1958 dans le droit ordinaire. Elle correspond aux 60 à 70% du loyer qu’un propriétaire pourrait demander s’il louait son bien immobilier.

Prenons l’exemple d’un appartement en PPE estimé à 700’000 fr., qui pourrait se louer 2’000 fr. par mois, soit 24’000 fr. par an. La taxe sera donc d’environ 15’600 fr.

  • Il est toutefois possible de déduire les intérêts (mais pas l’amortissement) de la dette hypothécaire, ici de 250’000 fr. à 1,5%, soit 3’750 fr.
  • Idem pour les frais des travaux d’entretien (mais pas de plus-value) de l’appartement. Comme il a plus de 20 ans, le forfait est de 30% de la valeur locative, soit 4’680 fr.
  • 15’600 – 3’750 – 4’680 = 7’170 fr.
  • Le propriétaire, qui ne loue pas son appartement, mais l’habite lui-même, va donc devoir inscrire dans sa déclaration d’impôt un revenu supplémentaire qu’il ne touche pas équivalant à 7’170 fr.
  • S’il verse, comme la moyenne des contribuables vaudois, environ 25% de son revenu imposable au fisc, cela lui fait un supplément d’impôts de 1’800 fr.
  • A noter que cette somme sera réduite si les frais hypothécaires et d’entretien sont plus importants, mais logiquement augmentée si, au contraire, ils sont moindres.

Qu’est-ce qui justifie cet «artifice»?

Pour la gauche et les associations de locataires, parce qu’il permet de compenser l’avantage que les propriétaires ont par rapport aux locataires, puisqu’ils n’ont pas à payer de loyer et peuvent déduire une partie de leurs coûts de logement (intérêts hypothécaires et coûts d’entretien) de leur revenu imposable. Mais l’argument tombe, car la même révision supprime également ces avantages: le propriétaire ne pourra plus déduire ces frais (sauf pour les intérêts hypothécaire des dix premières années, pour encourager l’accession des jeunes à la propriété).

L’opposition subsiste toutefois, parce que la perte des recettes fiscales ainsi engendrée (2 milliards de francs par an avec un taux hypothécaire moyen de 1,25% selon le PS) tombe pile poil lorsque la Confédération s’apprête à faire des coupes via un gros paquet d’économies. Ce ne serait donc pas le moment de faire des cadeaux aux «riches propriétaires».

Du côté des retraités

Sauf que la taxe locative touche tous les propriétaires, quelle que soient leurs revenus et leur fortune. Pour certains retraités, dont les rentes ne cessent de diminuer, elle est souvent très pénalisante. Et elle peut même se transformer en piège: comme le propriétaire a tout intérêt à conserver une hypothèque conséquente pour réduire la taxe, et que les banques ne la renouvelleront que si le revenu réduit et la pension permettent de la couvrir, il est parfois impossible de conserver son bien.

A vous de trancher le 28 septembre!


Rédigé par Christian Chevrolet

Ancien journaliste (Gazette de Lausanne, 24 Heures, Bon à Savoir, Tout compte Fait…) et auteur de plusieurs ouvrages scientifiques ou économiques, j’ai décidé de reprendre ponctuellement la plume (enfin le clavier de mon ordinateur…) pour partager quelques réflexions ou mes coups de cœurs sur Info Seniors Vaud.

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